• Il était plutôt deux fois qu'une, une fille, un peu comme tant d'autres mais pas vraiment, qui s'appelait Angie. Ses premiers cris avaient retenti dans une communauté à deux jours de celle où nous sommes, aussi fondée sur les ruines d'une civilisation de béton. Son père abhorré portant le doux nom de Hanton Marloc était aussi le hardholder local. Là tout de suite, vous vous dîtes, celle-là elle a eu une enfance dorée, fille unique ou quasi, on sait bien d'où elle le tire son mauvais caractère. Et bien non. Le pater familias avait 7 filles et un garçon. Ce n'était pas qu'il aimait les enfants, mais plutôt qu'il avait créé sa propre recette du pouvoir. Il souhaitait contrôler l'intégralité de sa communauté et tisser des liens essentiels avec ses voisins. Pour cela rien de plus efficace que la sélection génétique, n'est-ce pas? Il décréta que des filles seraient plus utiles. Plus faciles à faire, elles ont aussi de nombreuses qualités commercialisables et en cas de rébellion, il aurait toujours le dessus. Un malin ce hardholder. Il lui fallut deux années pour avoir le bon compte de filles, sans compter les échantillons de rechange au cas où, qu'il dissimula. Il garda un fils; ça peut toujours servir. Pourquoi 7 filles? Parce que la huitième femme qu'il avait sélectionné tenta de le poignarder à chaque instant qu'il passa avec elle. Lorsque, enfin enceinte, elle se défenestra, il en déduisit qu'il pêchait par orgueil, et que mieux valait rester à 7. En plus, c'est le dernier chiffre premier avant de passer aux dizaines; ça ne peut donc qu'être le signe de la perfection.

    Pour chacune d'elle, il avait préalablement identifié un secteur d'activité.

    Bianca première née apprendrait les techniques pour fabriquer armes et munitions. C'était un domaine très restreint mais les types d'armes ne manquent pas. La composition des balles n'est pas un travail qu'on donne à n'importe qui. Et puis, qui mieux qu'un expert peut faire du travail de mauvaise qualité passant inaperçu lorsqu'on veut se débarrasser de mercenaires un peu trop encombrant?
    Bianca est blonde comme les blés. Enfin il parait parce qu'on a pas vu de blé depuis un bail. A force de fixer des choses si petites à travers sa loupe ou de graver ses balles, elle est atteinte d'un léger strabysme convergeant qui lui donne toujours l'air surpris. Elle est d'une patience infinie et d'une profonde amoralité. Elle est aussi très fidèle au Padre, un vrai chien de manchon.

    Carrie a été briffée sur tout ce qui concerne l'espionnage. Elle est toute fine, presque petite. Son sourire est si doux qu'on lui avouerait tout et même n'importe quoi. Elle a bien des talents en matière de manipulation y compris un joli minois dont elle abuse avec une grande avidité pour parvenir à ses fins. Lorsque cela est nécessaire, elle est aussi habilitée pour verser quelques gouttes de poison dans un verre ou torturer un contact taquin. Malheureusement pour le Padre, elle a tendance à refuser de se débarrasser trop vite de ses contacts "compétents". Du coup, lorsque l'un d'eux est à son goût elle a un peu tendance à faire durer ses missions en longueur. Son meilleur rempart contre la fureur paternelle est le fait qu'elle a toujours des informations d'une grande valeur à fournir.

    Cassandre est ce qu'en d'autre temps on appelerait une geisha. Sans le maquillage et les cheveux gluants. Elle en a en tout cas les aptitudes et rituels. Elle n'est pas d'une beauté à couper le souffle, mais elle a ce quelque chose, une prestance qui font qu'on la remarque et qu'on ne voit plus qu'elle. Le Padre l'utilise pour des enjeux diplomatiques; elle est souvent présente pour accompagner un invité prestigieux de son père dans la communauté. Elle parait d'un tempérament calme et est la plupart du temps silencieuse, ne répondant avec des mots qu'aux questions directes. Son rôle lui colle à la peau, et au final l'étouffe. Lorsqu'elle est seule, son masque s'effrite et les tempêtes se déclenchent. Elle ne supporte plus ce qu'elle vit comme un esclavage, mais ne sait comment se libérer de sa prison dorée, habituée comme elle est au luxe. Car elle sait pertinemment que si elle s'en va, vu son savoir et son inaptitude à se débrouiller par elle-même, elle finira probablement dans un vulgaire bordel.

    Rose apprit tous les rudiments du commerce. Comment reconnaitre le bon client du bon pigeon, le régulier de l'occasionnel, le fiable et l'arnaqueur... Elle ne s'occupe pas d'une marchandise en particulier. Elle gère différents secteur et veille à ce que les marchandises soient bonnes, ou correctement mauvaises en fonction, qu'il n'y ait pas de vols ou que les responsables aient bien été sanctionnés, que les approvisionnement se fasse... Elle tisse des relations, du réseau et en fait profiter tous les commerces de la communauté qui acceptent de perdre un peu de leur indépendance. Certains le font pour se faire bien voir par le hardholder, d'autres parce que Rose leur ouvre de grandes possibilités commerciales. Tout marchand passé dans la communauté a au moins une fois rencontré et négocié avec Rose. C'est une fille plutôt implaccable. Lorsqu'elle fixe quelque chose, on ne la fait pas changer d'avis. Lorsqu'elle n'aime pas quelqu'un, il faut au moins changer de visage, et de nom pour avoir une seconde opportunité. En fait, c'est une doublure. Elle n'a que 19 ans, comparé à l'ainée qui a 27. Lorsque Argol, la première prévue pour ce poste avait 6 ans, elle a fait une mauvaise chute du haut d'un immeuble où elle aimait grimper. Arrivée en bas elle n'était plus très vivante, et il fallu réaliser un échantillon de rechange. Rose a mal vécu d'apprendre qu'elle n'était qu'un second choix, et s'est démenée pour être meilleure que tout le monde. Elle est à la fois haineuse envers les premières nées et totalement avilie par le Padre, prête à toutes les courbettes pour obtenir son approbation. Malgré sa compétence et sa dureté, elle attend toujours et risque d'attendre longtemps.

    Olympe est une vraie brute. On ne saurait le dire autrement. Elle a passé son adolescence en tant que mercenaire à patrouiller sur les routes et tuer d'autres mercenaires, bestioles ou je ne sais quoi. Elle donne l'air d'avoir peur de rien. Elle donne aussi l'air de n'être rien d'autre qu'un bloc de ciment tenant un couteau cranté. Angie ne sait pas vraiment qui est Olympe. Elle se sont peu vue, et Angie en avait une trouille bleue. Elle a les cheveux courts et la machoire tout le temps contractée. Dans son regard, Angie voit sa propre mort et ça lui suffit pour faire demi-tour. Olympe s'occupe de veiller à la sécurité de la ville et commander à la milice locale. Visiblement, elle fait bien son boulot parce qu'il n'y a pas trop d’échauffourés.

    Reste Angie, chargée des sciences et chimie, et Saule de la médecine. Mais leur cas est particulier :

    Angie dont l'activité principale consistait à lire des ouvrages comprenant des formules très alambiquées et des schémas conceptuels, travaillait souvent avec Saule. Elles se faisaient réciter tantôt les organes et os du corps humain, tantôt les compositions des mollécules. A cinq ans, c'est toujours plus convivial de travailler ainsi. De plus, le Padre avait prévu que les médicaments qui seraient utilisés au dispensaire par Saule seraient créés au laboratoire qu'il contrôlait, évitant ainsi toute incursion extérieure. Elles avaient donc besoin l'une et l'autre de partager afin de créer drogues et médicaments efficaces pour les maladies humaines.

    Seulement voilà. Un jour Angie tomba assez gravement malade. Elle avait 15 ans, et sa soeur la bougeotte et un gout prononcé pour la pluie où elle pouvait rester debout et ruisselante pendant des heures. C'était elle d'ailleurs qui lui avait demandé de l'accompagner la première fois. Elle disait que la pluie lui parlait, et lui révélait des secrets sur le monde. Qu'en fait, lorsqu'une goutte touchait le sol, il y avait une information qui en était extirpée, et qui remontait vers les nuages en suivant le cours des gouttes. Et les nuages emmagasinaient des tas d'informations. Elle lui disait ce que pouvait être en train de faire des gens à des kilomètres. Angie n'y croyait pas au début. Elle craint même que ces années d'études l'ait rendue folle. Mais quand elle s'en ouvrit à son père, il sembla être plutôt satisfait de cette information. C'était normal qu'elle soit devenue anormale.

    Saule lui prouva bien vite la véracité de ses propos en lui décrivant avec moult détails, une nuit de pluie, ce que Angie avait fait de sa journée et avec qui. Mais ce n'était pas le plus étrange qu'elle savait faire. Ce qui fascinait le plus Angie, c'était sa capacité à guérir les blessures rien qu'en les touchant. Elle mouillait la plaie et ses mains, car l'eau était son amie, et elle fermait les yeux. Là elle devenait comme molle. Parfois elle semblait se débattre contre quelque chose. Mais toujours la plaie se refermait; juste comme ça.


    Seulement voilà. Un jour Angie tomba assez gravement malade. Elle avait 15 ans et un gout prononcé pour la pluie où elle pouvait rester debout et ruisselante pendant des heures, avec où sans Saule. Et cette fois là, elle y été allée seule. Le lendemain, elle ne pu se lever. La fièvre était forte et Saule absente. Le Padre était désappointé car Angie avait été un investissement qu'il ne pouvait se permettre de voir péricliter. Elle avait une intelligence rare et une capacité de mémorisation qui semblait inépuisable. La fièvre risquait de l'altérer et il était trop tard pour envisager la mise en place d'un nouveau remplaçant. Il n'y avait qu'à voir le comportement de Rose envers les autres... Saule revint avant la fin du jour, à la demande express du hardholder. Elle ne comprenait pas pourquoi la pluie avait rendue malade Angie, ni pourquoi elle ne l'avait pas prévenue de cet état qu'elle pouvait soigner. Peut être la pluie était-elle jalouse?

    Saule s'assit près d'Angie et posa ses mains sur sa gorge et son front. D'habitude tout se passait bien. Parfois l'esprit résistait. L'esprit d'Angie résista. Saule savait comment faire habituellement. Mais ce ne fut pas comme d'habitude et son esprit se brisa alors qu'elle tentait d'apaiser celui de sa soeur.

    Lorsqu'elle revint vraiment à elle, Angie ne se sentait pas très bien. Saule était assise à côté d'elle, les pieds dans l'eau et elle agitait ses orteils avec un air de ravissement enfantin. Elle eut beau faire, elle ne parvint pas à communiquer avec elle. Personne ne le pu. .
    Le Padre réprima une envie de lui briser le cou en voyant l'état de Saule. Ainsi elle ne lui était plus d'aucune utilité. Après s'être calmé, il décida de changer d'angle d'attaque. Puisque Angie avait brisé sa soeur, elle prendrait sa charge. Après tout elles avaient grandi et appris ensemble. Après tout, c'était pour des visées médicales qu'il voulait principalement utiliser les compétences d'Angie.

    Quelques jours plus tard, Saule se noya. Angie refusa de croire qu'il s'agissait d'un accident.

    Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu'elle n'était plus la même. Elle finit par admettre, bien que ce soit complètement aberrant, que Saule avait laissé une part d'elle dans son esprit, comme un murmure. Angie ne discutait pas avec la pluie, mais son esprit marqué par le pont tissé par Saule pendant sa séance de guérison, avait assimilé cette technique. Il l'avait décryptée et lui avait donné des noms. C'était de l'électricité statique, de la réactivation cellulaire amplifiée. Une plaie cicatrise seule. Elle, pouvait faire agir les cellules pour qu'elles se multiplient plus vite.

    Pendant 10 ans, elle apprit donc à mêler chimie et soins, le premier l'intéressant bien plus que le second. Il y avait dans la médecine un besoin d'humanité et de compassion qu'elle n'avait pas envie d'avoir.

    A 25 ans, elle exerçait.

    L'ennui avec les êtres vivants couramment appelés humains, c'est qu'ils ont un besoin agaçant de communiquer. Angie devait réprimer bien des pulsions grégaires telles que le meurtre par étranglement ou la décapitation à chaque fois que quelqu'un venait la voir. Pourquoi fallait-il qu'ils lui racontent sa vie. Franchement comme si elle en avait quelque chose à faire! Très vite il fut convenu qu'elle n'exercerai pas dans un hôpital. Le fait qu'elle avait menacé un patient de lui guérir son rhume avec un scalpel n'était probablement pas étranger à ce choix paternel... Qu'importe, cela l'arrangeait.

    Elle passait le plus clair de son temps au laboratoire où elle mélangeait du liquide rouge avec de la poudre verte pour voir si ça faisait de la mousse. C'était bien plus ludique, et en plus ça ne parlait pas. Ses collègues étaient tous des professionnels. On jurerait qu'ils s'étaient fait arracher la langue avant de prendre leur poste. Jamais un blabla de trop. C'était parfait.

    Le soir quand elle ne lisait pas, Angie étudiait. Elle avait encore beaucoup de progrès à faire dans ses fonctions médicales. Or le meilleur moyen d'apprendre c'est l'entrainement. Du coup, pour éviter d'autres petits soucis de voisinage, elle avait décidé de tester ses compétences sur les corps des personnes décédées. Le but du jeu : découvrir par quoi le sujet avait succombé. Elle s'amusait beaucoup et était de plus en plus persuadée qu'un bon patient est un patient mort. Mieux, elle pu même joindre l'utile, le pédagogique et l'agréable, en testant ensuite diverses concoctions sur les tissus, organes ou cheveux de ses cobayes.

    Le hardholder n'approuvait pas ses passes-temps morbide, et il y eut de nombreuses querelles entre eux à ce propos. On commençait à murmurer que la mort de sa soeur l'avait rendue folle; qu'elle chercher à la ressusciter. Lui craignait que la réputation d'Angie ne gâche ses projets. Ils parvinrent à un accord tacite : Elle jouait avec ses morts discrètement, à condition qu'elle reprenne la guérison des vivants. Et avec sollicitude et tact en plus!

    Fusse son grand coeur, la naissance d'une vocation ou le pistolet que le hardholder tenait négligemment dans sa main qui la decida? Nul ne le sait. Toujours est-il qu'il n'eut plus à se plaindre d'elle.

    Enfin jusqu'à son départ.   


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